Cet après midi, lors d’une pause café, je demande à un compagnon jésuite malgache : « est-ce que chez vous, l’expression ‘pédaler dans la choucroute’ existe ? ». Il me répond : « c’est la première fois que je l’entends mais je comprends ! ».
Eh oui, il peut arriver qu’une congrégation générale, composée de plus de 200 jésuites des cinq continents, en principe bien formés et compétents, « pédale dans la choucroute ». Par exemple quand on ne sait plus bien s’il faut ou non écrire un texte, ni quel type de texte, pour dire quoi exactement, à partir de quelles données, sans répéter ce qui a été dit auparavant, en tenant compte de ce qui change dans le monde, des appels possibles du Saint Père, des priorités que nous nous étions données dans le passé – mais au fait, les avons-nous sérieusement évaluées ? –, le tout dans un style si possible inspirant, pas trop long, mais quand même substantiel, pour pointer les quelques enjeux cruciaux pour aujourd’hui, relever des points d’attention vraiment importants… Bref, le document dont on rêve, avec 215 rédacteurs potentiels qui ont, quand même, chacun des idées assez précises sur la question. Nous nous sommes séparés en une vingtaine de petits groupes d’une douzaine pour réfléchir à la chose ; mais là, même musique : douze propositions différentes dans chaque groupe. Mama mia !
Je me moque et c’est facile. Car en réalité, quelque chose d’important se joue là, sans doute, dans ces moments où l’on « pédale dans la choucroute ». D’abord, nous faisons l’expérience de cette fameuse « complexité » du monde dont on parle souvent, mais souvent aussi, un peu de l’extérieur, comme s’il suffisait de lui rendre hommage de loin. Mais là, je crois que nous y sommes entrés.
Nous y sommes donc ; et ce n’est pas facile, de même qu’il n’est jamais agréable de ne plus y voir clair ou de douter de son chemin. En fait nous sommes à la recherche de quelque chose de simple. Et j’ai confiance que nous le trouverons, qu’apparaîtront peu à peu les deux ou trois appels qui nous sont adressés pour la décennie qui vient. Seulement, il faut les chercher, remuer beaucoup de choses, écouter, laisser reposer, essayer cent chemins, s’y perdre un peu, et même plus, et finalement en reconnaître un qui est vraiment le nôtre, plein de promesse et, déjà, de joie.
Une congrégation générale qui ne passerait pas par ces moments où tout se complique ferait-elle l’expérience de recevoir ce qu’elle va produire ? De même que le retraitant qui ne passerait jamais par la désolation, c’est-à-dire par ce sentiment de ne plus sentir la proximité de Dieu, de se retrouver loin de Lui, sans secours ni guide pour avancer, aura-t-il fait l’expérience des combats de Dieu ?
Allez, courage, petite congrégation, le chemin va s’éclairer quand tu sentiras la main de ton Seigneur posée sur ton épaule alors que tu pensais l’avoir perdu.
Etienne Grieu, sj