Pour moi qui arrive à la Congrégation générale comme représentant des jésuites de la Province du Proche-Orient et du Maghreb – et qui plus est, suis un natif de la ville d’Alep, en Syrie –, l’une de mes principales préoccupations est de savoir comment ce que nous vivons sur le terrain dans notre région peut affecter l’ensemble du Corps de notre Compagnie, inspirer notre vie de jésuites, notre vision, ainsi que les options que nous aurons à prendre ?
Il me revient ce que mon compagnon syrien de noviciat, Sami Hallak, qui n’a pas quitté Alep depuis le début de la guerre en 2011, et qui a insisté pour continuer à y vivre malgré tout ce qui s’y passe, nous partage régulièrement. Voici ce qu’il écrivait le 3 juillet dernier: « Je suis allé à Taanayel (Liban) pour participer à la session organisée par les jésuites du Liban. A la fin de ces journées, j’avais envie de rentrer le plus vite possible à Alep. Les compagnons ne comprennent pas pourquoi j’ai hâte de retourner à la ville la plus dangereuse du monde ; pourquoi je ne passe pas quelques jours dans le confort ? A vrai dire, moi non plus je ne sais pas. Je me sens comme un poisson qui vit hors de l’eau, c’est tout ». Quelques jours plus tard, le 9 juillet, il écrivait d’Alep: « Les combats de nuit étaient d’une violence exceptionnelle. Instinctivement, je me suis levé à 2h30 du matin pour quitter la terrasse et aller dormir dans mon lit. Le matin, je trouve deux balles sur la terrasse, tout près du matelas où je dormais. Mon ange gardien a bien fait son travail… ». Et le 2 août il rajoutait: « Les tirs s’intensifient(…). S’il m’arrive quelque chose, je serai comme n’importe quel habitant d’Alep qui reçoit un obus alors qu’il se trouve chez lui. ». Cela fait écho à ce que le P. Frans van der Lugt nous disait en 2014 depuis son quartier assiégé à l’intérieur de la ville de Homs, moins de deux mois avant son assassinat, ou devrais-je dire, de son martyr: « De même que j’ai partagé avec le peuple syrien ses trésors, j’aimerais maintenant partager avec lui ses angoisses, ses souffrances et sa mort. (…) Je veux demeurer dans le sein de ces évènements pour participer aux douleurs de l’enfantement et être témoin du passage vers une naissance nouvelle ».
Comment travailler à la réconciliation au milieu de tant de haine et de violence ? Comment devenir des artisans de paix ? Faut-il privilégier l’engagement sur le terrain ou plutôt l’analyse, la réflexion et la recherche ? La prière et l’action spirituelle ? Le travail social ou caritatif ? Agir sur les média ? Alerter l’opinion publique ? Favoriser le dialogue et l’action diplomatique ? Sans doute tout cela est-il nécessaire et important, même s’il arrive souvent que nous en doutions, tant la situation paraît complexe et inextricable. J’espère que la Congrégation renforcera notre espérance. Je repense aux paroles du Christ : « Vous aurez des tribulations dans le monde ; mais prenez courage, j’ai vaincu le monde » (Jean 16,33).
Victor Assouad, SJ