Journée bien remplie : après le temps de prière en commun, le matin, les murmurationes ont commencé. Elles vont durer quatre jours, suite à quoi viendra l’élection du nouveau Père Général. Nous prenons rendez-vous avec ceux dont nous pensons qu’ils ont des choses à nous apprendre sur tel ou tel compagnon jésuite qu’on pourrait imaginer supérieur général. J’ai ainsi eu une douzaine d’entretiens, à chaque fois nous nous retrouvons uniquement à deux. Nous nous interrogeons mutuellement : penses-tu qu’untel aurait la capacité de tracer un chemin dans des situations très complexes ? Et tel autre, a-t-il le courage de prendre des décisions difficiles ? Et un autre, sais-tu s’il a suffisamment d’expérience, le vois-tu capable d’innovation, saura-t-il nous renvoyer à nos sources, sait-il travailler avec les autres, a-t-il suffisamment de souplesse pour savoir changer d’avis ? Est-il habité par le souci de ceux qui ne comptent pas aux yeux des autres ? Peu à peu, les choses s’éclaircissent et, sans doute, elles vont continuer à se simplifier : des hypothèses tombent, d’autres naissent, d’autres se confirment.
Intéressant comme technique d’élection, non ? Disons, c’est un autre style que le débat d’Hillary et de Donald. L’idée est d’éviter tout alignement partisan qui conduit au bout d’un moment à défendre des noms ou des projets non plus parce qu’ils sont prometteurs, mais simplement parce que ce sont ceux de mon camp contre ceux du camp d’en face. Et c’est tellement commode de se définir contre des adversaires ! La manière de procéder des murmurationes oblige à chaque fois à se demander à nouveau : et si c’était lui ? Les images trop bien fixées souffrent dans cet exercice et c’est justement là son intérêt : il oblige à ouvrir de nouveau possibles, à ne rien refermer trop vite.
Mais il y a plus. Car au fil des rencontres, nous sommes conduits à nous laisser surprendre, à faire entrer des questions que nous n’avions pas même imaginées. Tout ce qui paraissait clair dans notre tête peut sembler à chaque fois se défaire. Mais en réalité, peu à peu, dans le secret, quelque chose s’élabore. Par petites touches, se dessine un portrait. Oh bien sûr, si chacun des membres de la Congrégation l’imprimait, cela donnerait des choses très différentes. Mais ce qui nous est commun, c’est que les taches de couleurs qui le composent viennent des uns et des autres. Le dessin que chacun élabore en son for interne est marqué des empreintes de tous ceux qu’il a rencontrés. Il les a laissé retoucher son tableau au point que celui-ci n’a plus grand chose à voir avec la première esquisse. Ainsi, c’est son avis, mais ce n’est plus le sien seul ; c’est le sien, visité par trente ou quarante autres compagnons qu’il a pris au sérieux.
Or, en laissant ces visiteurs passer dans ses désirs et ses aspiration, il a fait entrer aussi Quelqu’un d’autre, et il entend son souffle, sa respiration. Que l’Esprit ne le quitte plus et qu’il lui soit le plus possible accordé ! Alors, une fois n’est pas coutume, nous aurons un vrai « vote de confiance ».
Etienne Grieu sj